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Précisions sur le sens souhaité de mes messages philo-ludiques et leur inspiration.
La pensée du Tout ne mène-t-elle à rien ?
Traiter ou penser le Tout est une approche partielle et partiale, le Tout défini ou envisagé ne l’étant plus. Définir l’infini est une gageure. Même si l’on ne considère pas le Tout comme infini, nous pouvons penser qu’il se situe (qu’il « est », je préfère) au-delà de notre finitude, donc d’un relatif infini. Surtout si le Tout est considéré comme l’Absolu (le Tout peut être regardé comme ce qui est, l’Absolu est ce qui est et ce qui n’est pas). Dans ce cas, celui-ci peut-il être fini au regard de ceux qui l’envisagent ?
Le Tout serait donc un concept de départ et non un but à atteindre, une idée à approfondir, non une réalité à réaliser. Toutefois l’idée étant, elle est réelle ; mais sa réalité est de forme et non de fond.
C’est la confusion entre la véracité d’une expression et la vérité qu’elle veut exprimer – par exemple : il est vrai que je dis quelque chose mais ce que je dis n’est pas nécessairement vrai – qui fait que les idées ou les concepts sont traités de manière affirmative et non interrogative. Pourtant, à ce niveau de questionnement, le doute est plus proche du vrai que l’affirmation de ce qui est ou n’est pas.
Aussi la question se pose : peut-on parler de Dieu ?
Oui, car l’on peut parler de tout ; mais est-ce à dire que les mots employés correspondent à ce qu’est Dieu ? Non, sauf à admettre que Dieu est un concept humain et que nous pouvons par conséquent le définir à volonté (ce qui est le cas ; on lui fait dire tout et n’importe quoi). En tant que concept, Dieu est raisonnable, dans le sens qu’il est possible de le « raisonner » (l’appréhender par la raison), le comprendre, mais si c’est le cas, il se trouve hors (en-deçà ?) de la foi. Où est la transcendance dans la raison ?
Les mots sont finis alors que Dieu, par définition, serait infini. Mais qui a défini ce principe, si ce n’est l’homme avec des pensées, des concepts, puis des mots finis ? Comment, par la finitude des mots, pourrions-nous définir le transcendant et l’infini ? C’est impossible. Ainsi le Dieu infini ne peut être qu’un concept.*
*Nombreux sont ceux qui soutiennent croire en « la parole de Dieu », bien qu’ils ne l’aient jamais entendu parler. En fait, l’on croit en celui qui dit que Dieu a dit. Ce n’est pas une erreur que croire, mais c’est une nuance de savoir à quoi et en qui l’on croit.
Saint Anselme (11ème s.) emploie astucieusement cette base pour affirmer le contraire, sous forme de syllogisme : « Dieu est l’être tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l’intellect que dans la réalité ». Ainsi, selon lui, si nous pensons à l’être le plus grand, nous ne pouvons penser que Dieu n’existe pas, la pensée de Dieu impliquant son existence. A cela je réponds que chacun sait ce qu’est une licorne. Pour autant, une licorne est-elle réelle ? Non ; mais existe-t-elle ? Oui, dans notre imagination (et culture) puisque nous savons ce que c’est. Ainsi le Dieu dont nous parlons est la « Licorne » de notre esprit.
Il existe une astuce théologique qui consiste, du coup, à ne pas définir Dieu par ce qu’il est mais à le décrire par ce qu’il n’est pas. Partant de ce principe, on pose moins de limites en disant que Dieu n’est pas ceci ou cela qu’en disant qu’il l’est. Au lieu de dire « Dieu est infini », on avance que Dieu n’est pas fini (en fait, on s’en serait douté) ; au lieu d’assurer qu’il est bon et miséricordieux, on précise qu’il n’est ni méchant, ni rancunier. Cette approche date du Moyen Age et il semble que ce soit Averroès qui, le premier, s’y employa. On retrouve cette rhétorique en Inde où la multiplicité des divinités n’est pas fondamentalement un polythéisme mais l’expression « infinie » des aspects du Dieu Un* que l’on ne peut définir, imaginer et imager, si ce n’est par ses aspects qui expriment une partie de ce qu’il est mais surtout ce qu’il n’est pas. En clair, si Dieu est « ceci », pensez à tout ce que ceci n’est pas et donc que Dieu est.
* Et même zéro, le néant : Asat, le non-Etre (absence de Sat : l’Etre) qui précède le Un. On retrouve cette notion dans la kabbale juive avec le précédent conceptuel du Aïn Soph Our (la Lumière sans fin), Aïn Soph (l’Espace infini), puis Aïn (le Néant), puis (!?!) au dessus de la sephirah Kether, la Couronne, le « Un » non manifesté.
Toutefois, cette circonvolution mentale ne mène à rien ; si Dieu est Dieu et à l’origine de toutes choses, comment pourrait-il ne pas être l’une ou l’autre de ces choses ? S’il n’est pas « ceci » ou « cela », cette chose, ou cet attribut, qualité ou défaut, est issu d’une autre entité que lui, ce que la notion même d’un Dieu unique, omniscient, omniprésent et tout-puissant (chez les monothéistes) exclut. C’est le paradoxe du manichéisme que nous retrouvons dans le dualisme absolu d’un courant du Catharisme* inspiré des Bogomils bulgares.
* Ce que n’admettaient pas les Cathares partisans du dualisme mitigé, courant moins fondamentaliste et plus ouvert que le précédent, qui a porté ses lumières principalement en Occitanie du 12ème au 14ème siècle.
Aussi le mieux, me semble-t-il, pour parler de Dieu, est de ne rien dire. (De toute manière, quand on converse sur Dieu, on parle le plus souvent pour ne rien dire). Le silence est plus éloquent que la parole et, surtout, permet d’éviter des querelles de clochers ou d’interprétation. Comme le relevait Pierre Dac : « Parler pour ne rien dire ou ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs de ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. »
Pour une Positivité constructive,
Philippe Mailhebiau