Aucun individu ne peut changer le monde à lui seul, et même des millions de bonnes volontés ne parviendront pas à améliorer les conditions de vie de l’ensemble de l’humanité, mais chacun d’entre nous a la possibilité, voire le devoir, de conduire une personne vers sa richesse intérieure en lui faisant prendre conscience de ses potentialités ; cette personne, c’est soi-même.
J’ai écrit, quand j’étais jeune, que « changer la face du monde commence par un sourire offert à un inconnu* ». C’est beau, c’est utopiste et cela ne fait pas de mal mais, de toute évidence, c’est insuffisant pour changer la face du monde.
Il restera toujours des miséreux, des incompétents, des perdants, des soumis, de pauvres hères qui ne peuvent plus se relever, des désespérés et des malheureux abandonnés. C’est désolant mais c’est ainsi, et nous ne pouvons changer la donne, si ce n’est agir à notre échelle et en fonction de nos moyens.
*La Voie de la Conscience Réalisée. Editions Jakin & Boaz.
La vie évolue, les créatures aussi, selon un fonctionnement vital, biologique, qui n’est pas fondé sur la compassion mais sur l’égoïsme et l’instinct de survie (toute créature, pour survivre, doit en manger d’autres ; les fondements de l’existence ne sont, à proprement parler, guère paradisiaques).
C’est d’ailleurs là où l’homme se distingue des autres créatures ; il est même grandiose car il a inventé la vertu. Au fur et à mesure de notre évolution, nous avons édifié des règles de vie fondées sur des qualités antinaturelles (la générosité, le partage, la fidélité, le sacrifice, etc.) qui vont à l’encontre des lois biologiques de l’animal que nous sommes. La compassion, l’empathie, l’attention désintéressée envers autrui sont magnifiques car issues de notre création mentale, notre développement affectif et notre sensibilité spécifique qui caractérisent notre espèce (avec beaucoup de variations et d’inégalités, cela va de soi). On a même inventé les Dieux et leurs exigences, leurs défauts et qualités calqués sur les nôtres et évoluant avec eux (vous avez remarqué combien Yahvé, qui a piqué une grosse colère pour une pomme*, est devenu un père presque aimant en quelques centaines d’années ? Et ce n’est pas fini !)
* Pour être objectif, il s’agissait du « fruit défendu » de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. La référence à la pomme date du Moyen Age alors que le terme « malum » désignait en latin aussi bien le mal que la pomme, d’où la confusion. En fait, le problème d’Adam et Eve, c’est une pomme, deux poires et beaucoup de pépins !
Malgré cela, lorsque nous faisons le bilan de la qualité de vie de l’humanité, nous constatons que nos beaux sentiments ne parviennent pas encore à prendre le pas sur l’égoïsme naturel et la propension à exploiter notre prochain. Ce à quoi nos Dieux immatures nous invitent sans vergogne !
Nous pouvons nous désoler, voire souffrir des disparités sociales, des malheurs de beaucoup d’individus, de l’injustice existentielle, de l’inégalité flagrante dès la naissance – capacités intellectuelles, apparence physique, milieu socioculturel et éducation -, nous pouvons pleurer devant les tortures infligées aux faibles et les abus de toutes sortes, mais notre sensibilité est insuffisante pour améliorer les conditions d’existence des malheureux et des démunis.
Je le sais d’expérience puisque j’ai longtemps souffert, émotionnellement et dans tout mon être, de la souffrance physique et morale qu’une grande part de l’humanité doit endurer. Mais j’ai compris avec le temps que la révolte et les larmes sont stériles, que l’action directe est limitée et frustrante, que se ruiner physiquement et psychologiquement en voulant prendre sur soi le malheur des autres ne fera pas des malheureux en moins mais un malheureux de plus.
Je rejoins là Michel Onfray qui, dans ses analyses rigoureuses, relève : « On n’a jamais supprimé un gramme de souffrance à qui que ce soit en se couvrant de douleur : avec ce mauvais calcul, on ne parvient qu’à la macération, à l’ajout de négatif au négatif. »
Idéalisme et idéaux…
Randolf Bourne disait avec sagesse qu’un homme qui n’est pas idéaliste à vingt ans est un homme sans cœur, mais celui qui l’est encore à quarante est un homme sans tête. Il est en effet plus sage que notre idéalisme de jeunesse se mue en réflexion et soif d’efficacité, tout en ne renonçant pas pour autant à avoir des idéaux (je pense à cette phrase de Vilhelm Ekelund : « Faut-il trahir son idéal parce qu’on s’aperçoit qu’on ne peut pas en vivre ? ») Aussi mets-je une nuance entre être idéaliste et avoir des idéaux ; être idéaliste consiste à vouloir que le monde soit à l’image de notre conception du meilleur de ce qu’il pourrait être, avoir des idéaux est accepter que le monde ne soit pas meilleur qu’il n’est tout en mettant à son service les moyens que nous savons nôtres afin qu’il y tende. L’idéaliste, voulant imposer sa conception du juste et du vrai, est tyrannique, il use souvent de moyens contraires à ses principes (il faut vaincre la violence, par la force s’il le faut !), tandis que l’homme riche d’idéaux appuie ceux-ci d’idées partagées, de concepts proposés, d’une volonté offerte. Si l’un affirme et impose, l’autre suggère et propose.
C’est la raison d’être d’ouvrages, lieux et espaces d’échanges de réflexions tels que ce blog ; ils soutiennent nombre de personnes responsables ayant la volonté d’améliorer leur existence et, par conséquent, d’assumer leur rôle d’homme et leurs responsabilités sociales. Une existence riche et épanouie conduit à l’aisance, et celle-ci invite au soutien, à l’aide et au réconfort des laissés pour compte, afin qu’ils se prennent en main et se réinsèrent dans une société qui, avec le temps, devrait (il est bon de le souhaiter, le rêver, le vouloir) devenir plus juste et plus humaine.
« Une société plus juste et plus humaine »… Est-ce de l’utopie ? Non, l’« Utopie », cette cité idéale imaginée par Thomas More est et restera un vœu pieux, mais elle a inspiré bien des idées et soutenu bien des volontés de « changer le monde ».
Une société plus juste et plus humaine est un parcours obligé pour l’humanité. Ce qui relève de l’inconscience est de croire que 10 % de la population du monde peuvent continuer à gaspiller les ressources des 90 autres %. L’illusion est de poursuivre dans la voie où la pauvreté croissante fortifie les fortunes de quelques privilégiés. Le leurre, la chimère de certains nantis (et nous faisons partie des nantis, ne l’oublions pas ; il y a bien des degrés parmi les privilégiés, mais notre éducation sociale, notre capacité à améliorer notre mode de vie, nos atouts et nos richesses, relatives ou non, font que nous sommes des personnes nanties. Et ce n’est pas un mal) est de se croire protégés par les lois sociales, les barrières policières, par la bienséance de concitoyens dociles bien qu’appauvris chaque jour davantage.
Le monde ne peut continuer dans cette descente aux enfers d’égoïsme et de dédain des miséreux. Tôt ou tard il faudra apprendre à mieux partager et, à ce titre, ceux qui, comme vous et moi, développons notre richesse intérieure et extérieure, devons donner l’exemple avec intelligence et efficacité.
Que veut-on partager ?
Et c’est là que je voulais en venir : que veut-on partager ? Ses maigres économies ? Les échéances de remboursements de prêts ? Ses doutes et inquiétudes sur l’avenir ? Ses faiblesses et maladies ? Non ! C’est la richesse qu’il faut partager, les compétences, les moyens, pas la médiocrité. Il faut avoir beaucoup pour offrir beaucoup ; l’abondance doit conduire au partage tandis que la misère mène à la division. Comme le disait Jean Gabin, dans une réplique de Michel Audiard : « Les bénéfices, ça se partage ; la réclusion, ça s’additionne ! »
J’ai rencontré en Inde un sympathique curé qui avait fait vœu de pauvreté et qui vivait dans un slum (bidonville) au milieu des indigents. Cela faisait de nombreuses années qu’il menait cette vie et était persuadé que sa modestie et son dévouement contribuaient à améliorer le sort des pauvres bougres qu’il côtoyait quotidiennement. Il me dit un jour, les larmes aux yeux : « Tous ces gens me donnent tellement d’amour, de lumière ; même si certains ne m’acceptent toujours pas, bien que je partage leur souffrance, leur karma ».
J’étais, à cette époque, moins diplomate qu’aujourd’hui et sans doute ai-je été un peu dur, mais je lui ai répondu qu’il ferait mieux de partager ses biens, son éducation, son bon karma que leur misère.
« Vous vivez comme eux, lui ai-je fait remarquer, mais vous n’êtes pas eux ; vous partagez leur misère mais c’est un luxe que vous vous offrez ! Ce « sacrifice », en réalité, vous fait du bien, vous fait plaisir, vous procure une jouissance morale et spirituelle. C’est vous qui avez choisi cette existence de pauvre, pas eux, la différence est énorme. Vous, prêtre, blanc et européen, le jour où vous avez une dysenterie et que votre vie est en danger, une ambulance vient vous chercher et vous conduit à l’hôpital ; et au besoin, un avion vous rapatrie en Europe. Mais eux, personne ne vient les chercher et ils meurent dans leur crasse et leur désespoir. Vous ne serez donc jamais comme eux. Eux sont pauvres, vous, vous jouez au pauvre, c’est une nuance qui ne devrait pas vous échapper. J’estime qu’il serait plus judicieux de rester à votre place, en dehors du slum, et de les aider avec les moyens que vous offre votre situation de fils de bonne famille. Ils ont davantage besoin de soins, d’éducation, de formation professionnelle que de vos croyances personnelles. »
La reine Marie-Antoinette avait bien le droit de jouer à la fermière au château de Versailles avec ses dames de compagnie, mais elle n’était pas pour autant une femme rustre et pauvre de la campagne d’alors.
Il est facile de jouer au pauvre mais il est vain de feindre dédaigner l’argent ; il est plus cohérent d’être riche et d’employer sa richesse à aider ceux qui sont dans le besoin, notamment par l’éducation.
Pour enrayer la misère, ne la cultivons pas, même par « pitié ». La richesse se partage, la misère se multiplie.
Saint Martin a donné la moitié de son manteau à un pauvre ; ainsi, ils ont eu froid tous les deux. Et en toute charité chrétienne, il a continué ; le second pauvre n’a eu qu’un quart de manteau, le troisième une demi-manche, le quatrième un bout de poche et le vingtième un bouton. Imaginez la tête du SDF quand Martin le lui a remis en lui disant : « Tenez mon brave, réchauffez-vous, c’est de bon cœur ! »
Alors quand je dis : « Ne partageons que le meilleur », c’est parce que vous comme moi avons décidé de mener une vie exceptionnelle et, de cette vie exceptionnelle, nous cueillons des fruits en abondance dont nous distribuons une partie à ceux qui ne peuvent ni planter d’arbre, ni acheter de fruits, ni même plus en mendier ou en voler pour survivre.
Etre riche, tout d’abord intérieurement mais pourquoi pas extérieurement, est une providence qu’exploite celui que la vie soutient en soutenant les autres à son tour.
Pour une Positivité constructive,
Philippe Mailhebiau
Clés à retenir :
Citation :
Le monde est assez vaste pour combler les besoins de tous mais il est trop petit pour satisfaire les désirs de chacun.
Gandhi
Cher Philippe,
Je commence ma journée en lisant ta note…oui, partageons l’abondance, partageons ce que nous avons en trop.
Quand je reçois des couples en consultation, la base de leur désillusion vient du fait que souvent l’un attend d’être rempli par l’autre -et réciproquement .
Imaginez deux verres de bières, type chopine à la paroi épaisse, deux verres côte à côte, très proches, presque à se toucher. Les deux verres sont rempli à peine au tiers et donc aussi vide de deux tiers. L’illusion de la relation amoureuse fait penser à certain que l’autre va remplir son vide intérieur, que l’autre pourrait déverser son tiers plein pour remplir l’un, …et réciproquement: et oui…parce qu’on s’aime!!
Alors j’aime à faire réfléchir les couples devant un dessin en les invitant à imaginer que chacun se concentre à remplir son verre de bière de toute sa richesse intérieure grâce à un cheminement individuel. Remarquons aussi ce qu’il se passe quand on rempli une bière jusqu’en haut, il se développe une mousse qui, elle, déborde, qui, elle, peut rentrer en contact avec la mousse d’un autre verre…et les richesses se partagent (amour, abondance, empathie, tendresse, chaleur, …). Ne serait-ce pas l’amour que l’on a en trop que l’on peut donner autour de soi, ne serait-pas le meilleur de soi qui peut se diffuser ….cette histoire peut se raconter avec sa version chocolat liégeois et sa chantilly!!! Je ne sais pas si c’est une pensée philo-ludique mais souvent des étincelles s’allument dans le regard des gens..peut-être juste à l’évocation de boire une bonne bière!!!
Je donne souvent ton adresse de blog lors de mes consultations, je ne sais pas si les personnes se connectent…
Au plaisir de recevoir la suite..
Bises
Ingrid
Merci pour cette richesse partagée.
Meilleures pensées.
Carole